Par Robert ZUILI – Psychologue Clinicien, spécialiste des émotions - 3 avril 2025
Entre toute-puissance, pensée magique et déni du réel.
Certains leaders politiques transforment toute condamnation judiciaire en injustice personnelle.
Ils se disent victimes, persécutés, trahis.
Mais si tout cela n’était pas que du cynisme ?
Et s’il s’agissait d’un effondrement émotionnel déguisé en stratégie politique ?
De la loi à l’offense personnelle : un glissement révélateur.
On les entend dire qu’ils sont victimes, qu’ils n’ont rien fait de mal et qu’on veut les faire taire.
Pourtant, ce sont bien eux qui ont franchi la ligne rouge. Mais lorsqu’une sanction tombe, leur discours change de registre :
ce n’est plus la justice, c’est une cabale.
« Le pouvoir agit comme une drogue : il stimule, déconnecte et finit par anesthésier le lien à la réalité. » affirmait Lord David Owen.
Et si tout cela révélait quelque chose de plus profond qu’un simple déni ?
Le pouvoir, amplificateur émotionnel.
Peut-on exercer le pouvoir sans basculer dans une réalité alternative, façonnée par ses propres ressentis ?
Peut-on rester leader sans céder à la tentation de la toute-puissance ?
Le pouvoir agit comme une chambre d’écho émotionnelle.
Plus on en détient, plus les émotions deviennent intenses, décuplées, parfois incontrôlables.
Et les risques sont nombreux :
- Peur de la chute : perdre son pouvoir, c’est perdre un statut, une influence, une reconnaissance. C’est se retrouver seul face à soi-même, dans une lecture parfois douloureuse de sa valeur réelle.
- Colère froide : on cherche à anticiper les menaces, même hypothétiques, par une stratégie de contrôle ou d’attaque.
- Colère démonstrative : le monde est injuste, il faut dénoncer, résister, lutter… souvent contre un ennemi désigné.
- Tristesse dissimulée : le rejet du peuple est vécu comme une trahison. Alors on parle en son nom, comme un parent aimant, mais blessé.
- Honte et humiliation : être exposé publiquement, perdre la face, c’est insupportable.
C’est souvent là que surgissent le déni, la victimisation et la construction d’une réalité parallèle plus supportable.
Le dérèglement de la boussole émotionnelle.
Pour se protéger, certains leaders dérèglent peu à peu leur sensibilité au réel.
Ils : réduisent leur empathie, surestiment leur importance personnelle, perdent le sens de la norme et du risque.
Les signaux d’alerte ne sont plus intégrés.
- Plus de doute.
- Moins de remise en question.
- Et surtout… plus de réalité partagée.
C’est à ce moment que l’émotion non traitée devient toxique.
De l’émotion au fantasme : le passage à la pensée magique.
Quand le réel résiste, les mécanismes de défense archaïques prennent le relais.
Ils deviennent des systèmes de survie psychique.
Comme l’a montré Mélanie Klein dans ses travaux sur les structures psychotiques, ces bascules défensives permettent à l’égo de ne pas s’effondrer. On observe alors ces phénomènes suivants :
- Victimisation inversée : « C’est moi qu’on attaque, donc c’est moi la vraie victime. »
- Toute-puissance émotionnelle : « Je ressens que c’est injuste, donc ça l’est et c’est incontestable. »
- Négation du cadre commun : « La loi ? Ce n’est qu’un instrument politique. »
- Prophétie personnelle : « Le peuple me sauvera, les faits parleront d’eux-mêmes. »
Cela produit une forme de pensée magique ou de clivage défensif :
« Je vais réussir. »
« Je vais arrêter la guerre. »
« La loi doit changer. »
« C’est une atteinte gravissime à la démocratie. »
Et peu à peu, l’univers se divise entre : les bons citoyens (ceux qui soutiennent), et les mauvais objets (qu’on peut critiquer, insulter, discréditer… voire détruire).
Et si la démocratie avait besoin d’émotions ajustées ?
Le vrai courage émotionnel n’est pas dans l’image qu’on veut imposer, mais dans la capacité à reconnaître, nommer et réguler ses propres affects.
Le danger commence quand : l’émotion personnelle d’un leader devient le seul guide de l’action politique, l’affect remplace la raison, et la légitimité repose sur l’amour et l’adhésion plutôt que sur le droit.
« Je suis aimé, donc je suis légitime. »
Et voilà comment la démocratie glisse vers la narration émotionnelle, où les faits s’effacent derrière la répétition du récit.
Être un leader, c’est aussi savoir dire : « J’ai mal, mais j’assume. J’ai fauté, je répare. »
Les grands entrepreneurs le savent.
Ils ont traversé les tempêtes, affronté leurs échecs, reconnu leurs responsabilités.
C’est dans ces moments qu’ils ont forgé leur résilience.
Et si on cessait de confondre autorité et invulnérabilité ?
Et si le vrai pouvoir, c’était la lucidité émotionnelle ?
Pour conclure, la démocratie aura du mal à fonctionner, si ce n’est pas déjà le cas, si ceux qui la gouvernent : confondent leur blessure narcissique avec une injustice, transforment leur désir de revenir en un droit inaliénable, et ne reconnaissent plus les limites que pose le cadre juridique commun.
La loi n’est pas là pour flatter l'égo.
Elle est là pour poser une limite. Un cadre. Une responsabilité. Mais encore faut-il que ceux qui l’exercent aient les ressources émotionnelles pour l’accepter. Sinon, la démocratie devient un théâtre, où chacun joue son drame personnel,
Et pour aller plus loin : références
- Dacher Keltner – The Power Paradox (montre comment le pouvoir modifie notre rapport à l’éthique et à l’empathie)
- Mélanie Klein – Le clivage entre bon et mauvais objet (référence clinique à la toute-puissance psychique)
- Études sur le syndrome d’hubris (Lord Owen, 2009 - “Hubris Syndrome: Bush, Blair and the Intoxication of Power” )