La culture du consentement

Par Robert ZUILI – Psychologue Clinicien, spécialiste des émotions - 10 septembre 2025

Dans les années 1970-1980, la question du consentement se résumait parfois à la prise en compte de l’intention de l’autre dans le cadre sexuel. Peu de personnes allaient jusqu’à explicitement questionner la volonté de l’autre. D’ailleurs le viol conjugal n’était pas encore reconnu dans de nombreux pays.

Fin des années 90, le sujet s’est étendu à l’univers de l’entreprise avec l’introduction de politiques de lutte contre le harcèlement moral et sexuel. Mais peu d’entreprises proposaient véritablement des conditions favorables à l’instauration d’un sentiment de sécurité psychologique solide et pérenne pour les personnes attentives à ces questions. On faisait avec…

Entre 2010 et 2020, les mouvements #MeToo et "BalanceTonPorc" ont déclenché une révolution culturelle.
Des pans entiers de la société (le sport, le cinéma, les médias, etc.) se sont vus subitement concernés, comme si jusque-là la question ne s’était pas posée dans une sorte de magnifique mouvement de déni social aligné. Puis les langues se sont libérées et de nombreuses personnes se sont mises à craindre qu’un passé obscur soudainement ne (re)fasse surface...
Le consentement n’était plus juste une absence de refus, mais la nécessité explicite d’un accord formel.

Quid de la situation en 2025 ?

Le consentement semble pensé dans une perspective globale qui inclut aussi bien les relations amoureuses, les interactions sociales, le travail et la sphère numérique. Il est en lien avec le sujet du pouvoir et des inégalités structurelles : genre, hiérarchie, âge, statut.
Désormais, il s’agit d’une culture du consentement, où dès l’enfance on apprend à demander, à respecter l’autre et à exprimer son accord ou son refus, dans toutes les sphères relationnelles afin d’instaurer un climat d’égalité, de respect et de réciprocité dans toutes nos interactions humaines.

En tant que psychologue spécialiste des émotions et de la relation, je me trouve régulièrement confronté au questionnement parfois implicite des salariés, des managers et gestionnaires, des parents, des conjoints.
Pour certains, on va trop loin, pour d’autres on en loin d’en faire assez !

Il n’y a pas de réponse toute faite, parce que ce sujet du consentement dépend avant tout de notre histoire personnelle, de nos blessures superficielles ou profondes, de nos défis, de nos drames et de nos victoires. Mais au-delà de toutes ces histoires différentes, il y a un contexte qui conditionne certaines postures. Les traditions familiales et la culture d’appartenance, les croyances religieuses dans lesquelles on a grandi, tout cela aussi nous configure qu’on le veuille ou pas.

Un entrepreneur de 50 ans me résumait sa prise de conscience tardive.
Toute sa vie, il a souhaité le bonheur de son entourage et sa préoccupation majeure consistait à anticiper les besoins de ses proches.
Une surprise agréable par-ci, une organisation d’activité par-là, un choix anticipé en imaginant le désir de l’autre, etc.

Ce paternalisme bienveillant, qui révèle souvent un besoin de sauver l’autre à son insu, même s’il part d’une intention louable, peut produire à terme l’effet inverse. Un divorce plus tard ou une rupture incomprise ou un rejet de l’entourage ou à l’inverse un abus de la gentillesse questionne.
Une remise en question s’impose et un travail personnel est souvent nécessaire pour rétablir des équilibres relationnels harmonieux.

Savez-vous identifier ou repérer ces signaux chez vous ou chez l’autre qui témoignent d’une sensibilité au renoncement potentiellement défaillante ?

Essayons d’y regarder de plus près !

Au travail,
-          Lorsqu’un collègue ou un gestionnaire vous retire un dossier « c’est pour te soulager » sans qu’aucune demande préalable n’eut été formulée. Quels sont les effets de ce type d’interaction : de l’infantilisation, de la démotivation, des apprentissages bloqués.
-          Lorsque le livrable est réécrit ou envoyé à la place d’un collègue « Oui mais, c’est pour gagner du temps ». Il s’en suit une perte de confiance, et cela peut aller jusqu’à la crispation relationnelle.
-          Lorsque la direction impose une « solution bien-être » : afterwork, méditation obligatoire, appli ou activité santé à toute l’équipe. L’effet induit peut aller du sentiment d’intrusion dans l’intime, au rejet pur et simple du dispositif.
-          Lorsque la négociation d’une augmentation ou d’une mutation pour quelqu’un se déroule sans l’avoir consulté « Ben oui, car c’est mieux pour ta carrière ». Cela provoque immanquablement un sentiment de confiscation du choix, et un désengagement progressif.
-          Lorsqu’un client « trop stressant » est réaffecté à un autre commercial pour protéger un collaborateur « j’ai bien vu que ce client est insupportable. Je suis content, c’est mieux pour tout le monde tu sais ». Cela envoie un message implicite « tu n’es pas capable et au fond je n’ai pas confiance en toi ». Voilà comment entamer l’estime de soi d’une personne ...

Avec les enfants

-          Forcer son enfant à faire un bisou ou un câlin. « Tu sais, c’est important d’être poli.e ». Et voilà comment peu à peu brouiller les repères du consentement corporel.
-          Faire les devoirs à sa place. « C’est pour t’aider à avoir une bonne note ». Cela peut entraîner de la dépendance, la peur de rater en faisant les choses seul.e, et finalement conduire à prendre le risque d’amplifier les complexes et d’atténuer la moindre persévérance.
-          Inscrire l’enfant à une activité extra-scolaire non désirée « mais c’est pour ton bien. Si tu ne le fais pas tu ne sauras pas que c’est bien ». L’effet produit peut être le dégoût de l’activité, le conflit et le retrait social de l’enfant qui se sent potentiellement honteux, voire humilié.
-          Publier ses photos et ses histoires dans les groupes familles ou amis, sans lui demander. « C’est pour célébrer ce que tu fais de bien. On est fiers de toi tu sais ». Certes, mais qu’en est-il de la potentielle honte ressentie ou de la perte de maîtrise de son image.
-          Commander au restaurant à sa place « Ah oui, tu aimes beaucoup ça. Tu vas être trop content.e ». Ici, on est dans le déni ou l’effacement des préférences, ce qui peut nuire à la faculté de dire non et à l’émergence de la culpabilité. Il/elle veut me faire plaisir, alors on capitule …

Et en couple ?

-          Organiser tout l’emploi du temps « Oui mais, c’est pour te libérer l’esprit. Tu as déjà beaucoup à faire ». Implicitement, la charge mentale est déplacée et non réduite et l’autre peut ressentir une perte de latitude personnelle.
-          Gérer seul.e l’argent « Tu le dis toi-même que je suis plus à l’aise sur ces sujets ». Mais finalement, une asymétrie de pouvoir s’installe si elle n’est pas compensée. A terme, de la suspicion peut naître et un sentiment de dépendance s’installer précipitant l’autre dans une impossible perspective de reprendre un jour sa liberté, si la question se posait.
-          Décider des moments d’affection ou de sexualité « Je sais ce qui te fait du bien, crois-moi » sans valider le besoin de l’autre. Et là, petit à petit s’installe un vécu d’intrusion, parfois minimisée « C’est mon/ma conjoint.e quand même… », qui peut déclencher l’apparition de postures d’évitement, parfois de fuite à travers des alibis qui constituent des échappatoires (maladie, déprime apparente, ...).
-          Changer la décoration ou l’aménagement d’intérieur, vendre un objet qui appartient à l’autre, planifier un événement d’ampleur (expatriation, déménagement, …) qui ne répond à aucune discussion préalable. L’autre se sent dépossédé et réduit à un statut d’objet qui peut développer le sentiment d’appropriation de l’espace commun par l’autre. L’injustice, la rancœur et la perte d’estime de soi peuvent envahir la personne.
-          Engager des soins, des séances de sport ou de détox pour l’autre « Je fais tout mon possible pour que tu te sentes mieux. C’est toi-même qui le dit ‘’la santé, c’est crucial’’ ! ». Cela peut être vécu comme une prise de contrôle masquée, et à terme provoquer de la résistance et du sabotage.

A dose homéopathique, cela peut être vraiment agréable et constituer un gain émotionnel et psychologique appréciable.
Cela se retourne contre l’auteur dès qu’il y a une forme de systématisme.
-          Et là, plus on impose « pour le bien de l’autre », plus l’autre défend sa liberté,
-          Cette sensation que l’autre « fait tout pour moi » créé une dette affective et favorise la honte et la culpabilité. Au fond, il s’agit d’une gratitude forcée, finalement malaisante.
-          Cela nuit à certains apprentissages ou expériences. Cela restreint le développement des compétences. Il n’y a pas d’essais et d’erreurs, ce qui entraîne des inhibitions puisqu’il y a plus de peurs.

Mais surtout, cela est à l’origine d’une érosion du lien. Perte de confiance, parfois micro-ruptures accumulées et au final l’autre se sauve (fuit) pour se  sauver (se préserver)...

C’est pour cela que je prône l’accès à des gestes d’hygiène émotionnelle que l’on peut revisiter à l’âge adulte et aussi les transmettre à notre progéniture. On s’impose toutes et toutes une hygiène de vie pour préserver notre santé et respecter autrui.

Mais qu’en est-il de notre propre hygiène psychique et émotionnelle ?

C’est le néant, très souvent. C’est pour cela que je développe ce concept d’une hygiène émotionnelle (R. Zuili) que je présenterai dans un prochain ouvrage à paraitre et intitulé : L’hygiène émotionnelle au service de votre écologie relationnelle … pour une santé mentale optimale et dont je vous reparlerai prochainement.
Cet ouvrage rassemblera des témoignages, des repères théoriques basés sur mes travaux sur les émotions entamés il y a plus de 20 ans, et des exercices pratiques pour développer son hygiène émotionnelle et en faire des routines pédagogiques pour soi et ses enfants.

Mais en attendant, déjà, soyez attentifs aux signaux d’alerte qui peuvent vous aider à détecter chez vous ou repérer le fait qu’il y a bascule quand vous vous surprenez à dire ou entendre :
-         « C’est pour ton bien, crois-moi »,
-          Qu’aucune question ouverte n’a été posée,
-          Que la gratitude est le bénéfice immédiat recherché,
-          Qu’il y a insistance quand l’autre hésite ou dit non,
-          Que les décisions sont prises à la place de l’autre.

Il existe une exception parfaitement utile.
Quand l’intégrité ou la sécurité est menacée (urgence médicale, harcèlement, danger). Là, l’autre n’est souvent plus capable d’agir et le non-consentement peut être nécessaire. Cela n’épargne pas ensuite d’en discuter, de s’expliquer, d’écouter le ressenti et enfin de restituer l’autonomie.

Il y a un grand principe directeur : « On n’aide bien que sur un oui clair, révocable et proportionné ».

C’est ça, l’écologie relationnelle.

C’est bâtir une société du consentement et transformer des intentions en pratiques collectives :
- apprentissage de l’hygiène émotionnelle dès l’enfance (accueillir et nommer ses émotions, ne pas imposer son ressenti comme étant la réalité),
- formations en entreprise (droit au non, réversibilité des choix, non-représailles)
- et usages numériques responsables (respect, transparence).

Autrement dit, il s’agit de passer du réflexe « c’est pour ton bien » au réflexe « qu’est-ce qui te convient et à quel rythme ? ».

Voilà les bases pour édifier un socle d’égalité, de respect et de réciprocité qui préserve la santé mentale et la confiance à l’échelle du lien… et de la société.